Cargo en détresse !

Publié le par le parrain de la 5e5

La journée avait bien commencé : nous avions quitté la Réunion quelques jours avant, après une escale vraiment magnifique, et depuis cette nuit, la Jeanne d’Arc et le Georges Leygues étaient intégrés à l’opération « Atalanta » de lutte contre la piraterie : nous allions ainsi contribuer à rendre à la liberté de navigation son véritable sens ! Quand soudain : « Mayday, mayday ! ». Le marin de quart dans le local radio sursaute. Le son n’est pas très bon et la voix très lointaine. Habitué à ce type d’appel, il sait que le « mayday » est un S.O.S. envoyé par un bateau en détresse. Tiens, d’ailleurs, savez-vous ce que veut dire S.O.S. ? « Save our souls » : « sauvez nos âmes » ! C’est ce que disaient les naufragés quand ils étaient pris dans la tempête et savaient qu’ils allaient mourir : c’était comme une prière qu’ils adressaient au ciel. « Mayday, mayday ! ». Cette fois-ci, pas d’erreur possible, le marin a parfaitement bien entendu l’appel de détresse. Il prend aussitôt le micro et répond le plus calmement possible : « This is french war ship Jeanne d’Arc, we are hearing you ! ». Plus tard, au moment de débarquer de la Jeanne d’Arc pour regagner Djibouti en hélicoptère, le capitaine du navire en détresse dira au commandant : « quand nous avons entendu votre voix, cela a été pour nous tous un signe d’espérance et de vie ». En effet, quand l’appel est lancé, la Jeanne d’Arc est à plus de 300 nautiques (= 555 km) de la première côte. A la passerelle (= local où se tient le commandant et où on dirige un navire de guerre), une fragile liaison se met en place entre la Jeanne d’Arc et le navire en détresse. Nous apprenons qu’il s’agit d’un cargo, le Sibley, qui transporte du poisson, qui va de Mombassa, au Kénya, à Pénang, en Malaisie, qui a 31 membres d’équipage à bord, et le plus grave : un incendie important s’est déclenché dans la salle des machines. Aussitôt, la Jeanne d’Arc et le Georges Leygues poussent leurs machines et vont à la rencontre du Sibley, distant de plus de 130 nautiques (= 240 kilomètres). Une heure après le premier contact avec le Sibley, l’angoisse monte d’un cran à la passerelle : le capitaine du Sibley nous annonce que l’incendie est éteint mais que l’eau déversée pour éteindre les flammes a déséquilibré le bateau et que celui-ci commence à pencher dangereusement. Puis, le silence sur la fréquence. Plus aucun contact n’est obtenu avec le Sibley. Qu’est-il arrivé ? Nous sommes encore loin du lieu du naufrage. Et si le bateau s’était retourné brutalement, emprisonnant avec lui les membres d’équipage ? Le Georges Leygues, plus rapide que la Jeanne d’Arc, arrive le premier sur les lieux. Au grand soulagement de tous, quatre radeaux sont aperçus à proximité du cargo qui affiche maintenant une gîte (= inclinaison) de plus de 45° ! La surface de la mer arrive au niveau du pont du Sibley ; heureusement qu’il n’y a pas de grosses vagues. « Ils sont 31 ! » annonce le Georges Leygues à la Jeanne d’Arc qui arrive peu après. C’est un soupir de soulagement que pousse tout l’équipage. Chacun des marins vivait en lui l’angoisse des marins du Sibley, obligés de quitter leur navire, ne sachant pas si les secours allaient finalement arrivés. Nous accueillons à bord de la Jeanne d’Arc les naufragés : il y un Chilien, le capitaine, un Espagnol, un Péruvien, deux Russes et vingt-six Indonésiens. Tous sont choqués mais heureusement aucun n’est blessé. Nous les réconfortons, leur servons de la nourriture et de l’eau, essayons de plaisanter avec eux afin de leur faire oublier les heures difficiles qu’ils ont vécues. Nous décidons finalement de laisser le Sibley à la dérive : il finira par couler quelques heures plus tard. Ne pouvant nous dérouter vers un port en raison de notre mission de lutte contre la piraterie, nous installons nos nouveaux pensionnaires dans des postes (= chambres collectives) d’officiers élèves qui ont été embarqués à bord du Georges Leygues pour la traversée entre la Réunion et Aqaba. Ils resteront avec nous jusqu’à Djibouti, et s’occuperont d’ici là en regardant des films, se reposant, et en faisant du sport avec les marins de la Jeanne d’Arc. Le 28 mars, alors que la Jeanne d’Arc est à environ 40 nautiques (= 75 km) de Djibouti, trois hélicoptères viennent chercher les naufragés. Avant de partir, chacun nous dit au-revoir avec des larmes dans les yeux. L’émotion est très forte. Le dernier hélicoptère quitte le pont d’envol de la Jeanne d’Arc. Le capitaine du Sibley agite la main par la porte restée ouverte de l’hélicoptère. La Jeanne d’Arc continue sa route vers le nord, vers la mer Rouge et l’équipage reprend son activité. Nous sommes un peu orphelins, mais si fiers d’avoir écrit un nouveau chapitre de la longue histoire de la solidarité des gens de mer.

Publié dans En mer

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